Tornek Rayville TR-900

La première partie concernant la Milspec 1 est déjà un labyrinthe ! Tout un ensemble de choses sont à mettre au conditionnel sauf les parties concernant les essais et les restitutions documentées. On est dans le factuel.

Pour ce qui est de la Tornek Rayville, on entre dans une dimension encore bien plus complexe. Il existe que très peu de documents officiels et tout un ensemble de récits sont venus s'amalgamer avec la création et l'histoire de la Milspec 1. Le conditionnel va être, dans cette partie de la revue, encore plus de circonstance. A ce stade, 3 éléments semblent cependant bien avérés et étayés :

1- La Bulova, qui devait-être la montre officielle de l'USN, n'a pas vu le jour et ne verra jamais le jour sauf via une édition contemporaine sortie en 2021 en deux éditions particulièrement réussies et au prix contenu.

2- La Fifty Fathoms a déjà un pied dans la Navy et répond au cahier des charges tel que définit initialement mais n'est pas en dotation officielle et n'est pas la seule pouvant être proposée aux plongeurs et surtout, elle est produite en Suisse

3- Le cahier des charges a évolué pour devenir MIL-W-22176 le 01 septembre 1959 et même MIL-W-22176A le 24 mars 1961. Ce qui implique donc une revue de la Milspec 1 si la Fifty Fathoms veut poursuivre sa petite carrière au sein de l'USN et prétendre au titre de montre officielle de l'USN

La réédition de la Bulova, équipée dans cette édition non limitée d'un Myiota - Crédit : Old Time Heure
La réédition de la Bulova, équipée dans cette édition non limitée d'un Myiota - Crédit : Old Time Heure

 

01 septembre 1959, l'USN modifie donc son cahier des charges (MIL-W-22176 correspond à la Milspec 1).

Les spécificités sont décrites, y compris les capacité des matériaux, la forme des aiguilles, de la lunette etc...ce cahier des charges fait également part de l'amagnétisme de la montre (qui l'élément le plus notable sur la version MIL-W-22176A), en effet, les démineurs qui porteront cette montre doivent avoir l'assurance que la montre ne soit pas un souci pour les détonateurs sensibles au magnétisme ! Ainsi, il est noté que le champs d'application de la spécification est la suivante :

Cette spécification couvre les montres-bracelets submersibles avec des caractéristiques non magnétiques, adaptées à une utilisation par des nageurs et des plongeurs et ayant une précision de marche quotidienne de 30 secondes ou mieux. Et à la lecture des différents éléments décrits et même sur les dessins techniques accompagnant le document, il ne fait aucun doute que c'est une Fifty Fathoms Milspec 1 améliorée qui est décrite (attendue même). Les améliorations portent comme dit avant sur les matériaux pour éviter une signature magnétique trop importante, elles portent également sur les matériaux auto-luminescents, une note en ce sens avait déjà était effectuée dans un rapport du 13 mars 1959 ! Il semble que le sujet ait été pris en compte, nous y reviendrons.

 

Quelques croquis expliquant ce qui est attendu du cahier des charges MIL-W-22176A, on devine très facilement une Fifty Fathoms
Quelques croquis expliquant ce qui est attendu du cahier des charges MIL-W-22176A, on devine très facilement une Fifty Fathoms

 

En premier lieu, la nouvelle spécification MIL-W-22176A est attribuée aux maisons horlogères américaines tel que Elgin, Hamilton et Waltham. Malheureusement, aucune de ces maisons horlogères ne souhaite entrer dans le projet. En effet, il est évoqué une commande initiale portant sur 1000 pièces, compte tenu des coûts en recherche et du développement à déployer, Elgin, Hamilton et Walhtam ne voient pas comment ils pourraient être rentables en rentrant dans un tel projet sachant en plus qu'ils savent que Bulova a échoué.
Comme pour la Milspec, c'est une nouvelle fois Allen Tornek qui va prendre le sujet et se l'approprier. Contrairement aux maisons américaines, 1000 pièces à la clef intéressent Tornek comme Blancpain et ils disposent en plus d'une sacrée longueur d'avance puisque les nouvelles spécificités sont basées sur une Fifty Fathoms Milspec 1 améliorée comme évoqué précédemment. Mais, pour rappel, pour devenir la montre officielle de la NAVY, il faut avant tout contourner le "Buy American Act". Cette loi protège les producteurs implentés sur le territoire américain en favorisant leurs tarifs par exemple et pour l'horlogerie, il est même imposé d'acheter les rubis à une entreprise du Missouri qui en produit (ce fabricant est apparu pour alimenter en rubis la fabrication de montres à destination de l'armée).
Sur le comment Blancpain et Tornek ont contourné le "Buy American Act", je ne dispose pas d'informations viables et fiables pour  l'expliquer, car cadran comme calibre, sont marqués Swiss, donc il est explicitement mentionné la provenance. Le seule nom de Tornek Rayville sur le cadran, bien que sonnant parfaitement anglosaxon, ne peut suffir à masquer la provenance de la montre (il existe quelques exemplaires avec des cadran marqué Blancpain US.NAVY d'ailleurs)...
Je vais donc bien me garder de spéculer sur les manoeuvres mises en place à l'époque pour que Tornek et Blancpain puissent atteindre leur objectif et devenir fournisseur officiel de la Navy. Pour les rubis, il est mentionné dans plusieurs supports que Tornek en aurait acheté une certaine quantitié mais n'en aurait utilisé aucun, préférant les suisses notamment pour des raisons de chronométrie. Tornek aurait d'ailleurs dit "Il a été mandaté que les rubis américains soient « achetés ». Heureusement, l'exigence concernait « l'achat » et non « l'utilisation". 
Cette phrase sous-entend elle que Tornek assemblait les montres (et recevait donc les pièces directement de la Suisse, de Blancpain mais sans le dire) ? La marque était donc américaine, elle assemblait juste des montres suisses...Sur le papier, ça peut suffir à contourner une loi (regardez aujourd'hui ce qu'il suffit de faire pour obtenir le Swiss Made)?
A moins que les montres étaient directement assemblées en suisse puis expédiées à Tornek sans que ça se sache pour que ce dernier les distribue ?
Le "Buy American Act" prévoit la chose suivante : Un bien, pour être considéré comme produit aux Etats-Unis, doit être fabriqué aux Etats-Unis et au moins 50% du coût de ses composants doivent provenir des Etats-Unis. Il est facile de contourner cet aspect encore une fois...
Véritablement, personne ne sait. En tout cas pas moi.
TR-900 - Crédit : Phillips
TR-900 - Crédit : Phillips

Côté technique, la nouvelle montre doit relever de nouveaux défis, les différentes améliorations attendues ne sont pas si simple à mettre en oeuvre et la plus difficile à relever concerne l'amagnétisme. En effet, rendre une montre anti-magnétique est une chose, rendre une montre complètement amagnétique en est une autre. Pour rappel, une montre antimagnétique est une montre dont le mouvement est protégé des influences magnétiques extérieures (la montre ne subit pas), tandis qu'une montre amagnétique est une montre qui ne contient aucune pièce émettant du magnétisme (la montre ne provoque pas).

Pour ce faire, un acier spécial a été sélectionné pour fabriquer le boitier d'une finition grise sablée (du maillechort à la finition sablé et plaqué aurait également été utilisé sur la Milspec 1 et la TR-900, ce qui donne avec le temps et l'usure du plaquage une teinte bronze au boitier). Côté mouvement, l'échappement était en laiton trempé plutôt qu'en acier, il en était de même pour le spiral quand les platines étaient elles réalisées en béryllium. Côté cadran, comme expliqué plus haut, le matériaux utilisé pour la luminescence des aiguilles, index du cadran et de la lunette est devenu un sujet que l'AEC (Atomic Energy Commission) surveille. Aussi, le radium et le tritium ne sont pas utilisés, il s'agit de prométhium 147, un élément radioactif produit industriellement à partir d'uranium. Ce matériaux permettait une forte luminosité mais sa durée de vie était plus limitée par rapport au Tritium et encore plus par rapport au Radium. Mais rappelez-vous, il a été déjà question de surveiller cet aspect lors du rapport du 13 mars 1959. En définitive, meme en utilisant ce matériaux, une bonne partie de ces montres seront détruites en raison justement de l'utilisation de ce matériaux. Ce qui explique aussi aujourd'hui sont extrême rareté (je rappelle que ces montres faisaient parti des équipements du plongeurs, elles étaient donc restituées après chaque utilisation).

Une fois la montre prête et baptisée TR-900, elle sera testée comme il en avait déjà été question avec la première Milspec. Les tests ont à ce titre eux lieu dans une installation militaire, l'arsenal de Frankford à Philadelphie qui a été ouvert en 1816 sous la présidence de James Madison en tant qu'installation d'armes légères et de munitions. Il semblerait que ça soit le fils d'Allen Tornek, Larry qui ait assisté aux tests de qualification, les tests menés ont été brutaux, plus exigents que ceux qui seront pratiqués par la Nasa pour trouver leur montre.

Larry Tornek a émoigné de l'un de ces tests, qui correspond en fait au pragraphe 4.4.9.1 de la sépcification MIL-W-22176A  :

Resistance du verre : Prévoyez de placer un tube d'acier de 40 pouces de long sur le cristal de la montre et faites tomber une bille d'acier solide de 5/8 de pouce dans le tube afin de frapper le cristal !

In fine, Tornek obtient la qualification, la TR-900 passe tous les tests et devient le fournisseur de la Navy en répondant à tous les critères imposés tout en étant en conformité avec le "Buy American Act". 

De mon côté, je m'interroge sur les potentiels concurrentes, y en avait-il vraiment ? Si oui, quelles marques ? 

Si Blancpain était la seule marque s'étant présentée pour répondre aux exigences de la spécification MIL-W-22176A, que restait-il comme choix de manoeuvre à l'USN pour pouvoir disposer d'une montre pour ses nageurs ?

Mieux, là encore, le "Buy American Act" prévoit des dérogations et des exceptions : Des dérogations peuvent également être accordées si les produits ne sont pas produits aux États‑Unis en quantités commerciales suffisantes et raisonnablement disponibles dans une qualité satisfaisante. On rentrerait ici parfaitement dans le cadre si aucune marque américaine n'est venue proposer une montre lors des essais !

Rare image d'un nageur de l'USN, TR-900 au poignet et une boussole qui elle semble être...une Panerai !
Rare image d'un nageur de l'USN, TR-900 au poignet et une boussole qui elle semble être...une Panerai !

 

Entre la parution de la nouvelle spécification et la livraison des premiers exemplaires, 2 ans se sont écoulées.

Un peu comme Bulova, l'énérgie et les efforts déployés vont conclure sur une maigre récompense. Les pratiques de l'USN sont à cette époque particulières, plutôt que de commander de grandes quantitiés en une seule fois, des commandes pour des quantités relativement petites ont été passées et ce périodiquement. Rendant également la production compliquée et couteuse...

Ainsi, on ne dispose pas de chiffres précis sur le volume de TR-900 commandées, livrées au total.

La commande initiale aurait porté, en 1963, sur 780 pièces (187,50$) et auraient été utilisée par le MACV-SOG, les Navy Seals (créés en 1962) et à la United States Marine Corps Force Reconnaissance.

Une autre commande d'un peu moins de 300 unités aurait été également reçue. Les quantitiés passées étaient faibles mais en plus étaient parfois bizarres...On sait également avec certitude, qu'une commande aurait porté sur 631 montres. Pourquoi pas un joli chiffre rond ? Parce que la Marine voulait 600 montres et en réserve 5 % + Une !

La toute dernière TR-900 livrée l'aurait été en Juin 1965.

C'est le conflit du Vietnam et le coût que ça va engendrer qui viendra sceller le destin de la TR-900 et surtout viendra clore les espoirs de Tornek de vendre un volume considérable de montres à l'USN. Mais c'est la somme de tous ces éléments historiques qui font certainement de la TR-900 la montre militaire la plus mythique et rare de toutes.

Le nom Tornek Rayville sera déposé et exploité par Bill Yao de la marque MKII. Il sortira en 2021 une TR-660 reprenant les traits de la TR-900.

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