A ce stade, la Fifty Fathoms Milspec survole toujours les débats, elle est certainement la montre la plus utilisée par les plongeurs de l'USN à ce moment là. Inspiratrice à peine dissimulée
de la Bulova (pour ne pas dire que la Bulova est une copie), tous ces tests et essais positifs à son égard peuvent aussi laisser penser que tous les aspects négatifs à l'égard de la
Bulova associé à la création de l'instruction permettant d'acheter des montres suisses commerciale (avec malgré tout au milieu de tout ça une Blancpain parfaitement alignée avec les
spécifications MIL-SHIPS-W-2181...je le rappelle) est bien étrange.
On est en droit de se demander si tout ça n'est juste pas mis en oeuvre pour contourner le Buy American Act mais en montrant d'éventuels efforts déployés pour démontrer que la fourniture
ne pourra se faire sur le territoire américain !
Fin 1958, le 19 novembre précisément, une demande de tests de service est demandée pour la Bulova, le prototype N°0369 est la pièce qui servira à ce test grandeur
nature.
A ce titre, il est précisé dans le rapport que la montre en question est un prototype basé sur les recommandations des Forces Opérationnelles, que le destinataire est invité à effectuer un essai
de routine en service sur la montre pendant une période de trois mois et que pendant le test, aucune réparation de la montre ne doit être entreprise et la montre ne doit pas être ouverte. Enfin,
il est évoqué les consignes suivantes : "Un rapport est demandé post test en ce qui concerne l'état de fonctionnement de la montre, ainsi qu'une description des dysfonctionnements ou des
difficultés rencontrées lors de l'essai et que si la montre présente des défauts graves, elle doit être retournée avec le rapport". Fait intéressant, une fois l'essai terminé, la montre peut
être conservée, si elle fonctionne. La demande est accompagnée d'une notice d'utilisation et de caractéristiques ainsi on apprend entre autre que :
- La montre a une précision de plus ou moins 20 secondes sur une période donnée de 24 heures à des températures allant de 20°F à 120°F
- La montre est amagnétique. Son effet magnétique est de 0,1 milligauss ou moins.
En parallèle, l'instruction qui encadre l'achat de montres commerciales provisoires est de nouveau revue le 04 mars 1959. L'instruction 10510.3A annule et remplace l'instruction
BuSHIPS 10510.3 du 4 décembre 1957.
Rien de nouveau quant à son objet, à savoir promulguer des instructions pour l'approvisionnement provisoire en montres commerciales en remplacement de la montre-bracelet Elgin et dans
l'attente de sa remplaçante. A ce titre, le document officiel mentionne le point suivant : "Le remplacement militaire de cette montre, actuellement en cours de développement, est
actuellement en cours d'évaluation, mais ne devrait pas être disponible dans le système d'approvisionnement naval avant l'année civile 1960" (c'était 1959 avant, le retard accusé par Bulova est
lisible). Dans l'intervalle, les montres autorisées sont :
- Blancpain Fifty Fathoms MIL SPEC I - Allen V. Tornek 75 W. 45 Street New York, N. Y. - 55,50$
- Enicar Sherpa Diver 600 - Enicar Watch Corp 681 Fifth Avenue New York 22,N.Y. - 37,50$ / 36$ sans bracelet
- Rolex Submariner Model 6538 - The American Rolex Watch Corporation 580 Fifth Avenue N. Y. 36, N. Y. - 90$ sur bracelet acier / 83,50$ sur bracelet cuir
- Zodiac Sea Wolf Model 3080B - Zodiac Watch Company 15 West 44 Street New York 36, N. Y. - 39,50$ avec bracelet / 37$ sans bracelet"
Aucune idée de comment la Zodiac et la Sherpa ont atteri dans la liste ni même ce que les tests ont donné. Par contre, la Rolex est toujours là...ou plutôt semble de retour.
Le cahier des charges initial, après tous les tests sur la Bulova et les opportunités de "tester" d'autres montres, est revu, amélioré. Un premier mémo daté du 11 mars 1959 fait état de ce
projet. Deux jours après, le 13 mars 1959, une autre note mentionne les aspects qui doivent intégrer la mise à jour des spécifications pour la montre devant équiper l'USN. Ce projet de mise à
jour permet d'apprendre des informations intéressantes.
Il est, en introduction, défini que les montres à remontage automatique font l'unanimité auprès des utilisateurs (l'ancienne était à remontage manuel).
La personne rédigeant ce rapport (bien que ne connaissant pas les spécificités initiale en la matière), souligne l'importance des pratiques en matière de luminosité et note qu'il faut
absolument éviter l'excès de radioactivité afin de contourner les problèmes rencontrés avec le profondimètre Bendix-Friez. De ce constat, il mentionne que les limites supérieures de radioactivité
doivent être spécifiées afin de s'éviter les foudres de l'AEC (Atomic Energy Commission).
Point "amusant", il écrit : "On me dit (officieusement) que la montre ENICAR, qui est en effet très lumineuse, est bien au-dessus des limites industrielles sûres de radioactivité".
Il poursuit sur la Bulova en insistant sur le fait que sa couronne n'est pas assez grosse et que sa manipulation avec des mains mouillées et froides s'avère complexe. De ce postulat, il
recommande de spécifier une taille de couronne.
La partie concernant la radioactivité est intéressante. Elle enseigne, déjà, sur le fait que le sujet est important, connu et pris au sérieux. La Fifty Fathoms MILSPEC a eu une évolution sur
laquelle le cadran était modifié et comportait une mention "T<25MC" à 5h. Cela signifiait qu'il n'y avait pas plus de 25 Millicurie de Tritium utilisé pour les parties lumineuses. Est-ce suite
à cette note et à l'évolution des cahiers des charges que Blancpain a modifié la MILSPEC (et ainsi éviter d'être rejetée) ? Ne disposant d'aucun document officiel sur le sujet, il
ne s'agit que d'une supposition.
Bulova versus Fifty Fathoms
Nouvelle note du BuSHIPS daté du 11 mai 1959.
L'objectif principal de cette note était de faire un retour d'expérience sur les montres commerciales (celles répertoriées en juillet 1958 + une nouvelle, la Enicar Sherpa Diver 600) et
d'un retour de service sur le terrain de 3 prototypes de la Bulova ayant duré 3 mois.
La note précise d'ailleurs d'emblée je cite : "Deux des trois montres Bulova n'ont pas réussi les trois mois de tests en service. Un service relativement satisfaisant a été expérimenté avec
certaines des montres commerciales". Ce rapport est d'ailleurs à ce titre le quatrième et dernier rapport de cette série de tests (les montres ont été reprises comme équipement de
l'EDU).
Cette évaluation était limitée à l'expérience subjective et aux observations lors de plongées effectuées à l'EDU et sur le terrain. Dans les faits, les montres avaient été attribuées à des
individus pour un port continu.
Voici, en détail, les retours sur chacune des montres :
Bulova - USN (NObs 73016)
Des tests formels de cette montre ont déjà été rapportés dans les rapports d'évaluation EDU 5-58 et 7-58. Le présent essai en service de trois mois a été effectué conformément aux
instructions du Bureau of Ships.
Le numéro de série 0369 a été livré le 11 novembre 1958 pour un test de service de 3 mois et a été testé jusqu'au 21 décembre 1958 avec les résultats suivants : La montre a été portée en
continu et sur la période de 4 jours, 17 plongées ont été effectuées allant de 30 à 60 mètres et le 21 décembre 1958, la montre a cessé de fonctionner. La montre a été renvoyée
au BuShips le 23 décembre 1958. Test non satisfaisant.
Le numéro de série 0050 a été livré le 23 décembre 1958 pour un test de service de 3 mois. Testé jusqu'au 30 janvier 1959 avec les résultats suivants : La montre a été portée en permanence.
Le 23 décembre 1958, elle a effectué 4 plongées avec une montre allant de 30 à 60 mètres et le 30 janvier 1959, la lunette s'est détachée de la montre. La montre a été
renvoyée au BuShips le 30 janvier 1959. Les tests n'ont pas été satisfaisants.
Numéro de série 0078 livré le 30 janvier 1959 pour un test de service de 3 mois. Les résultats au 4 mai sont les suivants : Le 4 février 1959, cette montre est envoyée à St. Thomas pour des
tests avec l'UDT. La montre est restée dans l'eau salée tous les jours pendant 2 mois avec des plongées de la surface jusqu'à 55 mètres. La montre a bien fonctionné et la lunette a bien
fonctionné. La montre a été utilisée un peu dans le sable sans problème. La montre tient toujours bien l'heure et la lunette fonctionne bien. Essai satisfaisant.
Enicar Sherpa Diver 600
Une montre Enicar a été signalée dans le rapport d'évaluation EDU 1-59. Cependant, la montre (la Seapearl) n'avait pas la fonction de lunette de temps écoulé. Les publicités commerciales
indiquaient la disponibilité d'une Enicar avec anneau de lunette et par conséquent ce modèle a été acheté par les canaux commerciaux normaux. Cette montre n'a pas été signalée précédemment
(c'est la Sherpa Diver 600).
Montre reçue le 20 août 1958. Le 27 août 1958, la montre a été mise à 175 PSI (120 mètres) pendant une heure en position horizontale. Aucune vérification
visible n'a été effectuée sur cette plongée car le cadran de la montre n'était pas visible en position horizontale. Après la plongée, la montre fonctionnait bien et ne montrait aucun signe
d'humidité.
Le 28 août 1958, le même test à 120 mètres est refait avec la montre en position verticale pendant une heure cette fois. Après le test, la montre
fonctionnait bien et aucune humidité n'était apparente. Le 30 août 1958, a été effectuée une plongée d'essai dans la boue et le sable avec la montre, la lunette fonctionnait bien et la
montre fonctionnait bien après les tests.
Le 31 août 1958, la montre a cessé de fonctionner et a été renvoyée à l'usine le 3 septembre 1958.
Le 22 octobre 1958, la manufacture a reçu la montre et indique que le remontoir automatique était cassé.
Les 4 et 5 décembre 1958, une plongée à 120 mètres en position horizontale et verticale est réalisée. La montre fonctionnait bien après les plongées et ne
montrait aucun signe d'humidité.
En février 1959, cette montre a été testée à St. Thomas et a été utilisée dans de nombreuses plongées en eau salée. La lunette s'est détachée et
la montre avançait, mais sinon elle fonctionnait bien. La montre a été renvoyée à la manufacture en mars 1959 pour réparer la lunette et vérifier pourquoi elle avance. La montre a été rendue en
avril 1959. Cette montre a été utilisée pour plus de 100 plongées de travail de 27 à 60 mètres et a bien fonctionné.
Les tests de luminosité de cette montre sont très bons. Tous les marquages peuvent être lus très clairement de 40 à 45 centimètres dans une chambre noire (sèche).
Dans l'eau sombre, la montre peut être lue très clairement à 25 centimètre du cadran (des informations non officielles indiquent que la montre a un niveau de rayonnement qui peut être
supérieur aux limites de sécurité actuelles).
Enicar, Seapearl 600
Cette montre est décrite dans le rapport d'évaluation EDU 1-59. La montre n'a pas été soumise à des tests spéciaux depuis le rapport, mais a été utilisée en
continu par l'EDU depuis le rapport, fonctionne toujours de manière satisfaisante et reste à l'heure. La montre est légère et petite et est très appréciée pour une utilisation lorsqu'une
lunette de temps écoulé n'est pas nécessaire.
Blancpain Fifty Fathoms
Cette montre n'a pas été soumise à des tests particuliers depuis le rapport, mais a été utilisée dans de nombreuses plongées de travail de manière continue
(intéressant non ?)
Le numéro de série de la montre Blancain testée dans le rapport d'évaluation EDU 1-59 était le N°1595 (toujours la même depuis le début des tests). En
février 1959, la montre était en plongée sèche à 50 mètres dans la chambre de compression et à 3 mètre en remontant, le verre a explosé. La montre a été renvoyée chez Tornek pour
réparation.
En mars 1959, Tornek a renvoyé à l'EDU une nouvelle montre (frais de 15 $) indiquant que la montre d'origine devait être envoyée en Suisse pour
réparation et que cela prendrait environ trois mois. Le numéro de série de la nouvelle montre est 2725. Cette montre est maintenant utilisée sur des plongées avec de bons résultats.
Un certain nombre de montres Blancpain ont été utilisées par les plongeurs de la Task Group 7.3 lors d'essais à Eniwetok au printemps et été 1958 (opération
Hardtack, on va y venir).
Rolex Oyster Perpetual
La montre est décrite dans le rapport d'évaluation EDU 1-59. Cette montre n'a pas été soumise à des tests spéciaux depuis le rapport, mais a été portée en permanence et utilisée dans de
nombreuses plongées de travail depuis le rapport et fonctionne toujours bien et reste à l'heure (pour rappel, elle devait-être éventuellement sortie des montres
approuvées...à la convenance des utilisateurs, vraisemblablement, ils aimaient bien la Submariner).
Les conclusions concernant la Bulova ne sont pas bonnes du tout. Il est indiqué qu'elle a la fâcheuse tendance à perdre sa lunette, à ce titre, l'UDT-21 qui effectue des tests terrain avec la
Bulova, on remonté que la plupart de leur Bulova avaient vu leur lunette se détacher. Il est également explicité que le cadran et les aiguilles ne sont toujours pas conformes aux attentes
(Bulova n' jamais rien fait sur ces points, tous les modèles présentés étaient identiques à priori). Le rapport conclu que la Bulova n'est pour le moment pas
significativement supérieure aux montres commerciales.
Pour la Fifty Fathoms, l'héroïne de cette revue, avouons le, ce n'est pas aussi écrasant que ça pu l'être dans d'autres rapports, en tout cas dans ce rapport.
Car comme dit plus haut, la Task Group 7.3 en a utilisé 12 sur le terrain et pour le coup, leur feedback est impressionnant comme en atteste un mémo rédigé par H. Lanphier / Diving
Medical Officer, Task Group 7.3 / Project Officer, Experimental Diving Unit daté daté du 15 aout 1958. Ce mémo a été repris 1000 fois sur internet mais complètement sorti d'un
contexte qui dure depuis plusieurs année.
Je le restitue ci-dessous dans son intégralité :
Douze "Montres de plongée Blancpain Fifty Fathoms Milspec 1" ont été confiées pour être utilisées pendant l'opération HARDTACK (nom donné à une série de 35 essais nucléaires faits dans le
Pacific d'avril à octobre 1958). Le but de ce mémo est de rapporter l'expérience avec ces montres.
Sur les douze montres, presque toutes ont été portées en continu pendant une période de 3-4 mois. La plupart ont été activement utilisées par les plongeurs pendant cette période et soumis
à des chocs et à une utilisation intensive lors de travaux lourds en surface ainsi qu'en immersion. La profondeur maximale de plongée était de 56 mètres, mais un très grand nombre de plongées
ont été effectuées à des profondeurs d'environ 45 mètres. L'emploi principal des montres était la plongée sous-marine où le timing était extrêmement crucial en raison des profondeurs
concernées.
La performance des montres était en général très satisfaisante. Elles n'étaient pas réputées pour leur précision absolue, mais les écarts n'étaient généralement pas supérieurs à une ou
deux minutes par jour. Aucune des montres n'a montré de fuite. Cependant, tous les "indicateurs d'humidité" se sont rapidement transformés en une couleur indéfinissable, probablement en
raison de la décoloration à la lumière du soleil. Le seul dysfonctionnement significatif (une montre touchée) concernait une tendance à s'arrêter vers 16h00 quotidiennement. Cela était
généralement contourné par le remontage manuel, il est donc possible que cela représente une défaillance partielle du mécanisme de remontage automatique.
La lunette extérieure des montres s'est rapidement avérée comme un élément indispensable. Cela simplifiait le chronométrage même dans les plongées où la narcose à l'azote était évidente
et où la préoccupation et la nécessité d'accomplir rapidement les tâches auraient rendu difficiles de se souvenir de la minute exacte à laquelle il fallait remonter à la surface et où
l'accomplissement fiable du calcul mental aurait été incertain. La facilité de réglage de la lunette et de lecture des chiffres était très clairement supérieure dans la montre
Blancpain par rapport à divers autres types qui étaient utilisés sur les lieux.
Deux caractéristiques apparemment mineures - le fait que le réglage de la montre ne nécessite aucun dévissage d'un capuchon d'étanchéité et le fait que les aiguilles s'arrêtent lorsque la
tige est retirée - se sont toutes deux avérées très utiles dans les situations où une "synchronisation" rapide de plusieurs montres était nécessaire . Il convient de noter que l'absence de
capuchon d'étanchéité n'affecte apparemment pas la résistance à l'étanchéité.
En résumé, l'expérience avec 12 montres Blancpain lors de l'opération HARDTACK a donné une satisfaction quasi totale. Aucune suggestion valable d'amélioration de cette montre ne peut être
proposée. Il est fortement recommandé, sur la base de cette expérience, que les caractéristiques de cette montre soient incorporées dans n'importe quelle montre sélectionnée pour
approvisionner la Navy.
Cette note finale, en annexe d'un des tout dernier rapport du BuSHIFT, date pourtant de aout 1958. Elle a en plus la force d'être une expérience terrain, la Fifty Fathoms a été confrontée à la
vraie vie avec les coups, les vibrations et que sais-je encore...
Fait également très intéressant dans ce rapport, la dernière phrase. Elle veut tout dire. La Fifty Fathoms MILSPEC est en tout point ce qu'aurait du être la Bulova dès le départ. Cette dernière
phrase donne également une résonance à ce que va devenir le cahier des charges MIL-SHIPS-W-2181.
En effet, ce dernier va évoluer pour devenir MIL-W-22176 le 01 septembre 1959 et même MIL-W-22176A le 24 mars 1961. Cette spécification Militaire destinée à une montre bracelet définit de
nouveaux critères afin de s'adapter au terrain, c'est cette MIL-W-22176A qui va donner naissance à la très rare et mythique TORNK-RAYVILLE TR-900.
Bulova abandonnera finalement le projet malgré un accueil pourtant positif puisque une publication dans le Bureau of Ships Journal de décembre 1959 annonçait la future montre de plongée
spécialisée pour l'armée. Il se murmure que Bulova, en ayant pris connaissance du volume de commande potentiel, aurait stoppé le projet. Il se dit aussi que Bulova était d'avantage occupé par le
projet de la Nasa que celui de l'USN (ce qui pourrait expliqué qu'à chaque rapport les mêmes remontées négatives étaient faites).