De nouvelles concurrentes !

Une mise à jour de l'instruction consistant à évaluer les montres de plongée suisses commerciales (instruction 10510.3) a lieu entre mars et juillet 1958, à ce titre, un rapport circonstancié est rédigé en date du 15 juillet 1958. Comme évoqué dans un précédent rapport, l'ajout éventuel d'une montre pouvant satisfaire les besoins attendus pouvait permettre de mettre à jour l'instruction 10510.3. C'est ce qu'il s'est produit. A ce titre, le rapport d'évaluation comporte certaines informations particulièrment intéressantes.

Pour recontextualiser, la spécification de contrat du Bureau of Ships, MIL-SHIPS-W-2181 du 5 décembre 1955 intitulée "Wrist Watch, Submersible", a été publiée pour couvrir le développement et les tests de montres-bracelets destinées aux nageurs et plongeurs sous-marins. La Bulova Corp. sous contrat avec le BuShips, est active dans le développement d'une montre conforme à la plupart de ces spécifications et des échantillons de préproduction ont été testés à l'EDU à plusieurs reprises, comme indiqué dans les rapports d'évaluation EDU 5-58 et 7-58 évoqués dans la partie 2.

Dans l'attente du développement et l'acceptation de la Bulova, l'avis 10510.3 du BuShips de décembre 1957 autorise à acheter les montres Rolex ou Blancpain pour une utilisation provisoire.

Compte tenu de cette autorisation provisoire, un échantillon de chacun des deux modèles a été acheté sur le marché libre (j'ai un gros doute en ce qui concerne la Blancpain qui est trop conforme aux attentes de l'USN, lire cette revue vous permettra de vous faire un avis je pense) et testé de manière similaire à la montre Bulova pour vérifier la conformité aux spécifications contractuelles comme expliqué dans les pages précédentes.

L'objet donc de cette mise à jour est l'ajout d'une nouvelle actrice dans cette longue série de montre commerciales. Cette nouvelle actrice, c'est la Enicar  "Seapearl 600" ! C'est une correspondance non officielle qui a indiqué au BuSHIPS que cette montre donnait de bons résultats. Un exemplaire de cette référence fut donc achetée sur le marché grand public afin d'être testée et comparée à la Rolex et à la Fifty Fathoms.

Pouf ces nouveaux tests, on retrouve de nouveau Prickett, désigné ingénieur de projet et Searle quant à lui est désigné chef de projet.
Les tests de la Rolex et de la Blancpain ont été menés du 17 mars au 22 avril.
Les tests de l'Enicar ont eu lieu entre le 20 mai et le 8 juillet.
  • La Rolex est une Submariner 6538 N° de série 307271, achetée 90 dollars provenant de chez American Rolex Watch Corp. 580 Fifth Avenue à New-York
  • La Blancpain est une Fifty Fathoms MILSPEC 1 N° de série 1595 (donc la même que dans l'instruction de décembre 1957, nous sommes à minima en mars 1958), achetée 55,50 dollars provenant de chez Allen Tornek, 75 West 45th St à New-York
  • L'Enicar est une Seapearl 600 N° de série 98234, achetée 25 dollars provenant de chez Enicar Watch Corp, 681 Fifth Avenue à New-York

Des essais d'étanchéité et de profondeur sur les montres ont été effectués, les trois montres ont toutes fonctionné de manière satisfaisante avant et après les tests. Aucune des trois montres n'a montré de signe de fuite, un éventuel souci d'étanchéité. Cependant, il est noté que la Blancpain est la seule des trois possédant un indicateur de couleur, indiquant l'humidité après les tests. La Rolex à la mi-juillet, au moment où le rapport est rédigé, commence à avoir de la buée sous le verre. La montre a été portée lors de nombreuses plongées opérationnelles entre la fin des tests et la mi-juillet. On apprend que la Blancpain a également été portée quotidiennement et il est noté que l'indicateur d'humidité a complètement changé de couleur mais que la montre n'a cependant pas de signe de souci d'étanchéité (on peut s'interroger, c'était éliminatoire pour la Bulova...).

 

Voici les tests d'étanchéité menés par date et référence :

 

Rolex Submariner
17/03 - 22/04 > La montre fonctionne toujours et montre une très légère buée le 22 avril
22/04 - Pas de présence d'humidité, de bulles à la décompression (remontée), la montre fonctionne.
23/04 - Pas de présence d'humidité, de bulles à la décompression (remontée), la montre fonctionne.
28/04 - La montre fonctionne. La lunette commence à être dure à tourner
14/07 - Buée excessive sur le dessous du verre. La montre fonctionne toujours

Blancpain Fifty Fathoms

17/03 - 22/04 > Montre toujours en marche L'indicateur de couleur d'humidité montre un léger changement de couleur à la fin des tests

22/04 - Aucune humidité évidente. Pas de bulles lors de la remontée. Montre fonctionne toujours. Léger changement de couleur supplémentaire.

23/04 - Aucune humidité évidente. Pas de bulles lors de la remontée. Montre fonctionne toujours. Changement de couleur moyen de l'indicateur d'humidité.

28/04 - Aucune humidité évidente. Pas de bulles lors de la remontée. Montre fonctionne toujours. Changement de couleur moyen  de l'indicateur d'humidité. La lunette tourne toujours parfaitement.

14/07 - Aucune humidité évidente. Pas de bulles lors de la remontée. Montre fonctionne toujours. La couleur de l'indicateur d'humidité a radicalement changé.

Enicar Seapearl 600

29/05 - 30/06 > Pas de présence d'humidité, de bulles à la décompression (remontée), la montre fonctionne.

03/06 - Pas de présence d'humidité, de bulles à la décompression (remontée), la montre fonctionne.

04/06 - Pas de présence d'humidité, de bulles à la décompression (remontée), la montre fonctionne.

14/07 - Pas de présence d'humidité, de bulles à la décompression (remontée), la montre fonctionne.

L'Enicar Seapearl 600 - Crédit : ?
L'Enicar Seapearl 600 - Crédit : ?

 

Le rapport mentionnera, suite aux tests d'étanchéité, les points suivants :

"Parmi les trois montres testées dans ce rapport, l'Enicar et la Blancpain semblent étanches. Cela confirme les rapports non officiels du terrain et les observations du personnel de l'EDU lors de visites sur le terrain. La Blancpain, dans laquelle l'indicateur d'humidité a complètement changé de couleur, fonctionne toujours avec précision et ne montre absolument aucune trace d'humidité sur le cadran ou sous le verre. Ce changement de couleur de l'indicateur sur une longue période de temps semble être une caractéristique générale de tous ces indicateurs d'humidité (comme dans la montre Bulova et dans la montre-bracelet submersible USN obsolète, FSM G6645-243-9181).

En ce qui concerne ce test, il n'y a aucune préférence entre Enicar et Blancpain et à leur tour, elles se comparent toutes les deux avec le Bulova. La Rolex testée, bien qu'elle fonctionne toujours avec précision, est assez embuée sous le verre et est quelque peu difficile à lire. Il n'y a pas de gouttelettes importantes sur le cadran ou sous le verre et la montre n'est certainement pas inondée. Le fait que la montre fonctionne toujours n'est pas indicatif de l'étanchéité, comme en témoigne le fait que plusieurs des montres Bulova, lors des premiers tests, ont été complètement inondées mais ont continué à fonctionner. Cette buée excessive sur la face inférieure du verre est similaire à celle constatée sur d'autres montres Rolex sur le terrain (oups...)".

 

 

La Blancpain étant impliquée et étant la référence qui est mise à l'honneur dans cette revue, voici les remarques faites après tests, c'est instructif.

Tests de luminosité :

Rolex : À la fois dans et hors de l'eau, la montre pouvait être entièrement lue, y compris la trotteuse et l'anneau de la lunette à environ 30 cm des yeux. La montre pouvait être lue suffisamment bien pour indiquer l'heure à 45 cm des yeux, cependant, à cette distance, la trotteuse ne pouvait pas être lue.

Blancpain : Même constat que la Rolex

Enicar : Dans une chambre sèche, la montre pouvait être entièrement lue, y compris la trotteuse (il n'y a pas de lunette rotative), à 45 cm de l'œil. Sous l'eau, la montre pouvait être entièrement lue à 20 cm, y compris la trotteuse.

"Les trois montres paraissent également satisfaisantes en luminosité et se comparent toutes favorablement à la Bulova qui, à l'exception de sa trotteuse, et peut être très légèrement plus lumineuse. Le cadran de l'Enicar est plutôt criard et étrange avec ses grandes zones de matière lumineuse mais elle est tout à fait lisible. La trotteuse un peu plus large de l'Enicar est significative en ce sens qu'il s'agit de la seule trotteuse qui est facilement lisible. La recommandation 5.2 du rapport d'évaluation 5-53 recommandait que la "trotteuse de la Bulova soit légèrement plus large pour améliorer sa lisibilité dans l'obscurité". La trotteuse Enicar démontre cette recommandation".

Test de la lunette :

Rolex : Dans le sable et la boue, la lunette s'est coincée bien plus vite que les autres montres (Bulova ou Blancpain). Le bord biseauté de l'anneau de la lunette rend difficile la préhension et la rotation de l'anneau même dans de l'eau claire et douce sans gants. En condition de fonctionnement avec des gants et des doigts froids, la bague ne peut pas être tournée du tout.

Blancpain : La lunette n'avait aucune tendance à se coincer. Le bord cranté en fait la plus facile des trois montres (Bulova et Rolex) à tourner.

Enicar : Pas de lunette rotative

"La lunette de la Blancpain tournait au moins aussi facilement et peut-être légèrement plus facilement que le Bulova. Blancpain et Bulova sont tous deux considérés comme satisfaisantes à cet égard et aucune des deux n'a tendance à se coincer. La lunette de la Rolex est effilé vers l'extérieur et les crans ne sont pas tranchants et, par conséquent, il est difficile de saisir la lunette et il semble impossible de la régler sous l'eau avec des gants. La montre Enicar, comme indiqué précédemment, n'a pas de lunette rotative".

 

Le bracelet :

Le bracelet de Blancpain est une bande de nylon unique avec boucle conventionnelle, la bande passant sous le boîtier. C'est ce type de bracelet qui était visé dans la recommandation du paragraphe 5.2.3 du rapport d'évaluation 5-58 (en gros, on veut la même chose sur la Bulova...). Le bracelet de l'Enicar est un plastique souple, légèrement élastique (en deux morceaux) avec boucle classique. Ce bracelet est également satisfaisant mais devrait être plus longue pour permettre une utilisation par-dessus une combinaison d'exposition. Le bracelet de la Rolex, en métal, est couteux, et fait que d'acier, il rajoute une signature magnétique non désirée et son fermoir est plutôt enclin à s'ouvrir facilement. Le type blancpain est le choix préféré entre Rolex, Bulova et Enicar.

 

Et cette Enicar alors ?

Le rapport se poursuit avec une note générale qui dit : "Une comparaison du coût des trois montres (90,00 $, 55,50 $ et 25,00 $) est significative. Même en déduisant, 15,00 $ pour le bracelet extensible de la Rolex ça reste cher surtout compte tenu de son mauvais score". 

Et de poursuivre : "En ce qui concerne l'étanchéité et la lunette rotative, il semblerait que la Blancpain soit un meilleur achat pour une montre qui comprend une lunette extérieure rotative. Pour les utilisations où la bague extérieure rotative n'est pas une nécessité, L'Enicar, beaucoup moins cher, à  25,00$ est de loin le meilleur achat.

À 25,00 $ par montre, les forces sur le terrain pourraient bien utiliser les montres une année et les jeter, car il est entendu que le coût de réparation (au chantier naval de Norfolk) de ce genre de montre est supérieur à 25,00 $, sans compter l'approvisionnement et autres frais administratifs cachés. Le coût de la montre Bulova n'est pas encore disponible.

D'un point de vue subjectif, les plongeurs sont unanimes pour se plaindre du bracelet de la Rolex. Ils l'ont en outre considéré comme trop lourd. Ils étaient divisés à peu près à part égale entre Blancpain et Enicar jusqu'à ce que le sujet ait été évalué sur le coût, après quoi tous ont indiqué leur préférence pour l'Enicar. Un critère subjectif digne de mention est l'objection générale à la Rolex et à l'Enicar en raison de leur finition brillante. Les intéressés (futurs porteurs) pensaient que ces montres, si elles étaient portées dans les eaux tropicales, pouvaient attirer les poissons, en particulier les barracudas. A cet égard, la Blancpain, avec un boîtier mat (comme sur le Bulova) est préférée".

 

En conclusion, la note suivante est laissée, elle est sans ambiguité sur le résultat final de ce rapport :

"Il est conclu que la montre Rolex n'est pas, par rapport aux autres montres disponibles, un achat intéressant. EIle n'est pas suffisamment étanche, sa lunette rotative ne se tourne pas facilement et le coût, même en excluant le bracelet, est nettement plus élevé que ses concurrentes. Il est conclu que les montres Blancpain et Enicar sont des montres-bracelets submersibles satisfaisantes pour une utilisation provisoire en attendant la montre standard USN. Si une lunette rotative est nécessaire, la Blancpain s'impose. Si la bague rotative n'est pas nécessaire, la montre Enicar est satisfaisante, l'Enicar étant moins chère. Compte tenu de l'objection au boîtier brillant de l'Enicar, il est conclu que la Blancpain est préférable. Il est également conclu que le bracelet en nylon à bande unique avec boucle conventionnelle comme sur le Blancpain est le plus souhaitable. Le bracelet en métal coûteux et extensible avec fermoir pliant comme sur la Rolex n'est certainement pas souhaitable.

Recommandations finales : 

Il est recommandé que l'avis BuShips 10510.3 du 4 décembre 1957 soit modifié pour supprimer la Rolex Submariner, modèle 6538. Si cette recommandation n'est pas acceptable pour le BuShips, au moins les forces sur le terrain devraient être chargées d'acheter la montre sans son bracelet acier extensible.

Il est recommandé que l'avis BuShips 10510.3 soit modifié pour ajouter la montre Enicar, notant qu'elle doit être achetée pour des utilisations où la lunette rotative n'est pas une nécessité. Si cette recommandation est acceptée, il est en outre recommandé de demander au fabricant de fournir la montre dans un boîtier mat.

Il est recommandé que l'avis BuShips 10510.3 indique que l'Enicar et la Rolex (si elle est retenue sur la liste acceptable) ont des boîtiers brillants et ne doivent pas être utilisés dans les eaux tropicales où les poissons pouvant mordre demeurent.

Il est recommandé que la montre-bracelet submersible standard USN ait une trotteuse plus large, similaire à celle de l'Enicar, ce qui confirme la recommandation 5.2.2 du rapport d'évaluation 5-58.

Il est recommandé qu'un bracelet de montre tel que celui que l'on trouve sur le Blancpain soit accepté en standard sur la montre-bracelet submersible standard USN, conformément à la recommandation 5.2.3 du rapport d'évaluation 5-58".

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